Je suis tatouée depuis 20 ans.
C’est étonnant de savoir ça, et m’en rendre compte me donne un peu le tournis à moi aussi !
Aujourd’hui, je vais vous parler de cette facette pas si connue de ma personnalité, parce que j’en parle peu, parce qu’ils ne se voient pas, parce que mes tatouages sont à la fois symboliques et personnels avant d’être des effets de mode.
La rédaction de ce billet est périlleuse, je vais devoir vous expliquer tout en restant assez vague, histoire de préserver mon anonymat. J’ai toujours fait gaffe aux images (cette vignette est celle où vous en verrez le plus), quitte à en photoshoper certaines.
Lorsque je me suis fait tatouer pour la première fois, j’étais déjà dans les expérimentations de la douleur sur mon corps. A un certain niveau, je tentais d’oublier l’angoisse dans une blessure plus concrète.
Je n’ai donc jamais ressenti la douleur du tatouage comme une blessure, mais plus comme une épreuve nécessaire et bénéfique : le tatoueur créé et je m’améliore par son art, c’est exactement ainsi que je le vis.
Et à chaque tatouage c’est la même chose : j’appréhende juste avant et lorsque l’aiguille se pose sur ma peau, tout disparaît afin de laisser la place à un bien-être satisfaisant. C’est assez incroyable !
1996 : Le tatouage du pari
J’ai 16 ans et mon géniteur revient de plus en plus fréquemment dans ma vie. Lui est tatoué très discrètement, il a un proverbe chinois sur le bras : « obtenir les racines, ne pas se soucier des branches ». Mouais, à croire que je suis une brindille dans sa vie.
Je ne sais pas s’il a d’autres tatouages, je ne me souviens que de celui-là. Je sais en revanche qu’il était un farouche défenseur du noir.
Parmi ses potes piliers de comptoir il y avait Kristof, tatoueur de son état.
Un soir de grande beuverie, mon père m’a mise au défi de me faire tatouer. Je pense qu’il était persuadé que je serai trop douillette mais qu’à la fois, il me demandait de l’impressionner, de prouver que j’étais bien, quelque part, la fille qui lui ressemblait un peu…
C’est donc Kristof qui m’a tatoué le motif que j’avais choisi en noir sur une zone facilement visible (un placement et une forme très peu féminine, je m’en rends compte aujourd’hui). Il a dessiné sur ma peau et a ensuite repassé au dermographe. Le géniteur était à côté du fauteuil en train de parler binouzes à son grand ami.
A l’époque j’étais ravie et ce tatouage fonctionnait comme un cri de ralliement pour moi. La petite nana de 16 berges qui a eu assez de couilles pour se faire tatouer ça et ici. J’en ai imposé avec ce motif.
Aujourd’hui, je ne regrette pas vraiment ce dessin et je l’aime pour ce qu’il représente (il s’agit d’un objet symbolique porteur de valeurs qui sont encore les miennes aujourd’hui, peut-être même plus qu’à l’époque… Comme si je savais comment j’allais évoluer), il a vieilli et est devenu gris, et avec le temps les gens qui le voient le reconnaissent de moins en moins.
Je songe parfois à une amélioration du motif. Pas de recouvrement car l’idée me plaît encore, mais plus un rafraîchissement, peut-être un agrandissement, quelque chose qui me permette d’exprimer les mêmes choses mais d’une façon plus esthétique ou qui épouse mieux la forme de mon corps.
1998 : Le goût du reviens-y
J’ai attendu de n’avoir plus besoin de l’autorisation de mes parents pour retourner chez Kristof (ben oui, je ne connaissais que lui).
J’avais envie d’avoir quelque chose de plus personnel et qui me représente moi et mes interrogations qui commençaient à germer dans ma tête d’adolescente compliquée.
J’ai choisi un endroit moins conventionnel pour faire celui-ci, je le désirais plus intime car il s’agirait du Vrai-moi. L’idée est un symbole inachevé, car j’étais loin de me sentir entière ou accomplie, et je pensais qu’il serait sympathique de pouvoir compléter ce tatouage lorsque le moment sera venu, lorsque j’aurai trouvé le bonheur, la voie, le mode d’emploi de ma vie…
Ce fut rapide et efficace, mais cet exemple a confirmé la mauvaise maitrise du placement de la part de ce tatoueur. Je ne me rappelle plus exactement comment ça s’est passé mais il a dû me demander où je le voulais, j’ai vaguement dû poser mon index à un endroit et il a dû commencer à dessiner en me disant ok.
Aujourd’hui, je regrette un peu le fait que Kristof ne réfléchissait pas sur l’esthétique de l’endroit. A quelques centimètres près, le dessin aurait pu être bien meilleur et plus harmonieux. ce n’est pas bien grave, j’aime ce tatouage et il pourra lui aussi être positivement amélioré si un jour je le décide.
Ah et oui : il est toujours à moitié terminé, je ne me sens toujours pas suffisamment accomplie pour lui offrir sa moitié manquante !
Quelques années après, ce tatoueur décédait, m’épargnant ainsi tout plein d’autres dessins au mauvais endroit :)
2015 : Le mûrement réfléchi
Beaucoup de temps est passé depuis le dernier tatouage et l’idée de m’en refaire un faisait son chemin dans ma tête mais se trouvait freinée par de vagues problèmes matériels (temps, fric, tatoueur…)
Et puis j’ai croisé la route de ce tatoueur particulier au sein d’un festival hippie et sur son ardoise accrochée à sa roulotte, on lisait :
Soul Writing
Mon art est inspiré des tatouages ethniques, je favorise la création plutôt que le reproduction.
j’aspire à ce que le tatouage reflète la poésie inhérente à chacun d’où le nom de « soul writing, gravant de mes mains l’écriture de l’âme sur le corps.
Comment ne pas avoir irrésistiblement envie après avoir lu ça ?
Cet homme trimballait un véritable univers, une spiritualité détonante à lui tout seul.
J’ai réussi à avoir un rendez-vous avec lui et je lui ai montré mon motif dessiné qu’il a ensuite arrangé à sa sauce. Le placement a été travaillé et tous les éléments importants que je voulais y inclure ont été dessinés :
- Des courbes pour le côté féminin (Môm et moi)
- Des lignes droites pour le masculin
- L’ancrage à la terre
- Trois formes importantes pour symboliser trois hommes qui comptent ou ont compté
- 5 points pour les principes de ma vie (sexe – sécurité – conviction – conscience – folie)
Ce tatouage a été fait après un jeûne de quelques jours, autant dire que les circonstances étaient bien particulières, incroyables, la symbolique très forte.
J’ai eu très peu au moment de le faire, parce que l’endroit était délicat mais aussi parce que j’étais vraiment hors de ma zone de confort (dans une roulotte sans électricité, la nuit, en festoche, sans eau…)
Cette fois encore, la première piqûre d’aiguille a anéanti toute inquiétude ! C’était formidable.
Ce tatouage est le premier qui m’a été fait à la main, à l’aiguille et sans dermographe. J’en suis particulièrement contente et je ne regrette aucun des choix qui l’ont fait naître.
Cependant j’ai peur qu’il vieillisse plus vite que les autres.
2016 : Le positif
Celui-là je ne l’avais pas prévu, je suis simplement tombée amoureuse du travail de cette tatoueuse rencontrée sur mon lieu de cure.
Comme pour le précédent, les conditions ont été favorables à très peu de choses près : le salon ne rouvrait que quelques jours avant mon départ mais nous avons tout de même réussi à trouver un créneau.
Dans ce tatouage très féminin (pour une fois), j’ai introduit le symbole de quelque chose qui a beaucoup d’importance dans ma vie même si je ne m’en rends pas toujours compte : la musique. En effet, beaucoup de belles rencontres ont ce dénominateur en commun ! je l’ai encore constaté récemment.
Je voulais placer ce dessin à un endroit un peu plus visible (tous les autres sont généralement cachés) et ma tatoueuse a composé le modèle dans le but de le mettre sur le poignet.
Le lendemain j’avais changé d’avis et j’imposais un nouvel emplacement.
Très inquiète quant à la douleur de cet endroit, la tatoueuse m’a fait peur. Mais j’ai tenu le coup et me suis convaincue que je pourrai assumer. Et j’ai eu raison !
Le placement est superbe, le tatouage est bien mis en valeur mais reste discret la plupart du temps. J’aime tout en lui : le style, la forme, la symbolique… Et la séance aussi. J’ai passé un vrai bon moment durant cette séance, je n’ai pas eu si mal que ça, juste une sensation de coupure un peu plus aiguë que d’habitude mais tout à fait gérable.
Je suis ravie.
Ce tatouage est celui des premières fois : 1ère pour un dessin si gracieux, 1ère avec un stencil (c’est un pochoir fait à partir du dessin du tatoueur, tous les autres m’ont été dessinés à même la peau), 1er tatouage par une femme, 1ère fois en couleur (car oui, même s’il est majoritairement noir, il a deux points de couleur que je trouve très sympathique.)
Je pense que je n’arrêterai jamais de me faire tatouer.
La séance me permet de revenir sur terre la plupart du temps, la « mutilation » crée un ancrage qui m’est nécessaire. Le résultat final m’intéresse tout autant et j’aime pouvoir contempler ces moments de vie et me rappeler ce qu’ils représentent pour moi.
Alors sans imaginer qu’un jour j’aurai une manchette entière ou une grosse illustration, je crois que je continuerai les petits griffonnages aux techniques et aux styles différents.
Et vous, quels sont les histoires de vos tatouages ?
Salut Agoaye,
Très belle cette histoire de tatouage. Mais peut-on en voir la couleur ? Au moins un ?
Celui qui te caractérise le mieux.
Eh non, justement c’est impossible, anonymat oblige :/
Bonsoir, merci pour ces « confidences ». Ton récit m’a touchée mais le tatouage, ça ne me tente pas du tout, ça me laisse même assez indifférente. Bon, on en voit de partout, et j’en trouve certains de vraiment magnifiques. Je pense que c’est très personnel ce choix, je ne porte aucun jugement. Mais il y a des trucs qui me font sourire, comme ces personnes qui en plein hiver sortent bras nus pour qu’on voir leur tatouage, par exemple !
A bientôt.
Au début j’ai été de ceux-là… Essayer de les montrer le plus possible. Mais j’avais 16 ans, j’étais jeuuuuune :)
Je comprends ton point de vue et je déplore aussi parfois l’effet de mode qui a pu en découler.
je n’ai aucun tatouage mais j’ai toujours eu cette envie d’en avoir un sur le pied ou la cheville… je ne me suis jamais lancée.. peut-être un jour, le bon jour !!!
C’est certain qu’il faut être sûr, de son endroit (pour toi ça a l’air) mais aussi du motif…
C’est une grande décision
Merci pour ces histoires, ça montre vraiment que même si de plus en plus de gens se font tatouer, les tatouages ne sont pas que des accessoires de mode ou des petits dessins juste pour attirer l’attention. Mais c’est vraiment personnel, il y a toute une histoire, il y a des significations personnelles et profondes selon ce qu’on vit ou selon ce qu’on a vécu. C’est quelque chose de très fort pour chacun de nous. Mais pour y parvenir ce n’est pas si facile que ça, d’abord il faudra un bon tatoueur, un bon motif, et déjà penser comment sera ce motif dans 20 ans, 30 ans. Et oui, la jeunesse n’est pas éternelle !
Alors j’avoue que moi je ne pense pas à leur vieillissement (pas plus que je ne pense au mien d’ailleurs). S’il s’agit d’un motif personnel et d’une histoire perso, alors il vieillira avec moi et je ne me pose même pas la question du comment… Ça se fera naturellement !