L’année où j’ai eu peur


Ma vie d'associale, Ma vie d'éternelle enfant, Ma vie de grande malade / vendredi, mai 3rd, 2019

Malgré les nombreuses années durant lesquelles j’ai continué d’habiter avec ma famille, je me suis toujours sentie assez libre et pour cause, j’ai eu une équivalence de studio séparé du reste de la maison dès mes seize ans.

La merveilleuse maison de mes grands-parents était assez biscornue pour abriter leurs fantaisies diverses et variées. Par exemple, ma grand-mère avait décidé d’avoir deux cuisines. Une pour l’hiver, à l’étage et une pour l’été, sous un appentis aménagé avec accès direct dans le jardin pour les déjeuners sous les noisetiers.
Pour sa chambre, c’était pareil. Il y avait une petite chambre mansardée pour l’hiver, posée à mi-hauteur des escaliers accédant au 1er étage et une chambre d’été, de plain-pied et communiquant avec le passage menant aux jardins d’un côté et le poulailler de l’autre.

Lorsque mon oncle et sa fille sont revenus habiter avec nous, ils ont logé dans la chambre du bas et ma grand-mère s’est installée plus durablement dans celle des escaliers. Ensuite, après le décès de mon grand-père, elle est remontée à l’étage, laissant la mansarde aux invités et la chambre d’été à l’adolescente perturbée que je devenais.

J’avais donc mon indépendance avec une chambre et une salle d’eau tout à moi, je pouvais sortir par le poulailler ou par le jardin sans avoir à traverser une seule pièce de la maison, c’était un immense avantage par rapport aux jeunes du même âge qui étaient sans cesse sous l’œil et l’oreille de leurs parents.
Non seulement ma mère était suffisamment occupée par sa nouvelle histoire d’amour avec une collègue de son boulot, mais en plus elle me faisait totalement confiance, j’ai eu énormément de chance et je ne lui ai pas désobéi tant que ça quand j’y repense.

Elle était au courant de tous les gens que j’invitais chez nous, même pour dormir, je ne lui ai jamais menti là-dessus. En revanche ce qu’elle ne savait peut-être pas systématiquement, c’est quand je sortais dans la nuit. Ma meilleure copine de l’époque s’appelait Flore et nous nous étions connues au collège. Issue d’une riche famille italienne, elle était l’une des filles les plus populaires, en particulier avec les garçons.
Elle était belle, pulpeuse, marrante, gentille… Bref, mon inverse exact et tous les détails qui nous séparaient ont créé chez l’une comme chez l’autre une espèce de fascination magnétique pendant de nombreuses années. Par un heureux hasard, elle habitait à trois rues de chez moi.

Il n’était donc pas rare que nous nous retrouvions de nuit sur son trottoir (elle faisait le mur comme moi mais elle avait si peur qu’elle n’osait pas s’aventurer plus loin qu’à dix mètres de son portail) et nous discutions de tout et de rien, nous refaisions le monde, critiquions les parents et commentions les profs en fumant des clopes lorsqu’on en avait ou en allumant des feux de brindilles sinon.

Ces sorties nocturnes n’étaient pas méchantes, je ne faisais pas de conneries et même lorsque je trainais en bande, j’étais plus souvent une observatrice indépendante qu’une stupide suiveuse ou une meneuse charismatique.

Un soir, par la magie des amis qui connaissent des amis (et aussi grâce aux avancées technologiques merveilleuses de l’époque, j’ai nommé Caramail ou ICQ), j’ai retrouvé l’un de mes anciens camarades d’école primaire, Mickaël, qui vivait à présent une gloire nationale en ayant été couronné champion de France junior de hockey sur glace.
C’est à cette époque que j’ai été un peu moins sage la nuit, je pouvais me le permettre car j’avais à présent vingt ans.
Le garçon avait une aura très particulière, une belle voiture dorée, sa propre maison, de la vodka-orange en open bar et une gueule d’ange… Je ne dormais plus beaucoup lorsque je le fréquentais. Nous allions boire des verres sur Paris, nous finissions chez lui, nous regardions des films et je lui présentais mes amis, tous mes amis…
Il était très seul !

Inutile de préciser que Flore aussi était tombée sous son charme malgré le fait qu’elle ait été quasiment mariée à son voisin d’en face, un gars un peu plus âgé mais déjà BCBG promis à une belle carrière qui plaisait beaucoup à son père.
Mais curieusement, ce n’était pas sur elle que le hockeyeur avait lancé son grappin, il était bien plus proche de moi pour des raisons que j’ignorais totalement.

Après quelques mois de folles nuits platoniques et alcoolisées, Mickaël nous a enfin présenté sa copine dont il nous parlait depuis si longtemps que nous nous demandions si elle existait vraiment.
Elle ne devait pas avoir seize ans et était aussi blonde que lui. Son corps minuscule de patineuse artistique était sans doute sa seule qualité car, de ce que nous avons pu voir, son cerveau avait dû être sacrément amoché par de trop nombreux triple-axel. Elle avait un prénom de sucette et était aussi conne qu’un chamallow.

Mes amis et moi la supportions sans trop rien dire, mais nous nous gardions toujours dix petites minutes avant de rentrer chez nous pour nous foutre de sa gueule tellement nous hallucinions de sa stupidité.
J’avais un copain moi aussi à cette époque, un joli brun qui travaillait avec des adultes handicapés, il se demandait parfois s’il n’allait pas l’inviter au boulot.

Le soir où Mickaël essaya de me tripoter sous la couette devant un film alors que Candy était blottie contre son autre épaule, je ne me suis d’abord laissé faire trois minutes en me demandant ce qui se passait, puis je me suis levée en sursaut en embarquant Flore et en prétextant que nous devions rentrer.

Je l’ai dit à une copine le soir même et le lendemain la nouvelle avait fait le tour de toute la bande. Mickaël a évidemment nié et les a tous montés contre moi avec une manœuvre incroyable : il leur a purement et simplement fait croire que j’étais folle.
J’ai été jusqu’à douter de moi, et j’ai vraiment perdu pied quand mon copain a cru Mickaël plutôt que moi et m’a quitté.
Flore est sagement retournée fricoter avec son voisin et a adopté une position aussi neutre que la Suisse mais tous les autres m’ont tourné le dos.

C’est à partir de ce moment-là que Mickaël a dévoilé son vrai visage.  Ses messages sur internet se sont faits plus menaçants. Il me disait que maintenant il avait tout, il était tout et que moi je n’avais plus rien, que je n’étais plus rien…
Qu’il était le démon et qu’il avait gagné…
Il me disait de ne pas en parler, que sinon il se vengerait.

Je n’en ai pas parlé, j’étais trop occupée à changer les pneus de ma petite AX que je retrouvais crevés chaque matin.

Les mois ont passé et ses messages se sont espacés, ainsi que les actes de vandalisme sur mon véhicule. Cependant, j’ai continué à avoir peur de lui, de ce qu’il pourrait faire ou me dire lorsqu’il me recroiserait si cela venait à se produire.
Je me suis donc appliquée à me faire oublier, petit à petit je sortais moins de chez moi, je n’allais plus qu’une fois sur deux en cours, puis plus du tout, je ne m’approchais plus de la rue qu’avec des lunettes de soleil, rempart illusoire à ma tranquillité.

Cette période de repli sur moi a duré presque un an et a été le déclencheur de ma première psychanalyse, ainsi que d’une véritable rupture dans ma relation aux autres.

J’ai recroisé Mickaël presque dix ans après dans la salle d’attente d’un cabinet d’ophtalmologiste. Dans ce décor des années 80, j’ai fait semblant de ne pas le reconnaître mais je me suis rendue compte que je n’avais plus du tout peur de lui lorsque je l’ai trouvé vieux et laid, minuscule sur sa chaise en plexiglas.
J’étais bien mieux que lui à présent, plus belle et plus forte et ça m’a conforté dans ma guérison.

Et vous, avez-vous déjà été à ce point manipulé ?

4 réponses à « L’année où j’ai eu peur »

  1. Je crois que j’aurai adoré avoir moi aussi cette petite dépendance pour savourer mon adolescence en quasi liberté et en confiance ! Effectivement, tu n’as pas abusée et je trouve ça génial. Je suis désolée pour l’expérience avec M, ça forge forcément. Et aujourd’hui, c’est toi qui est débout !

    Line de La Parenthèse Psy

  2. pouah… pas de mots… je t’ai lu en agrandissant mes yeux au fur et à mesure vers la fin… bravo car toi tu t’es relevée… ce qui n’est pas mon cas. une histoire différente mais qui m’a beaucoup détruite comme le reste de ma famille.je suis la seule à encore faire les frais de cette malade de manipulatrice qui a sévi chez nous…. j’avais prévenu tout le monde, on ne m’a pas écouté….
    mais contrairement à toi je n’ai pas peur de cette personne… c’est juste qu’elle continue de me pourrir la vie avec son esprit détraqué et peu de personnes voient son jeu, c’est moi la foldingue de l’histoire…
    il était bien taré aussi le gars de ton histoire…. et lui, il t’a reconnu ou pas dans la salle d’attente?

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