Ça faisait plus de 5 ans que nous ne vivions plus ensemble, mais elle m’a élevée pendant les 23 premières années de ma vie.
La maison était trop grande, et le jardin avait besoin de tant d’entretien que Mamie avait décidé de vendre et s’était pris un appartement toute seule, ça faisait 5 ans…
Mes relations avec ma famille ont toujours été relativement tumultueuses, je suis une passionnée, et la passion amène du très bon comme du très mauvais. Vieille ado que j’étais, j’avais mal supporté de quitter ma maison d’enfance et je lui en voulais, je ne la comprenais pas, je pensais que c’était comme un abandon, je n’arrivais pas à me dire qu’au bout de 76 ans passés à vivre pour les autres, Mamie avait un peu besoin de vivre pour elle… Alors je lui en ai un peu voulu, je me suis un peu éloignée.
Et puis elle a attrapé la grippe.
Nous allions souvent la voir, Môm, Môm² et moi, mais sa grippe traînait en longueur et après 80 ans et cet emphysème pulmonaire qui vivait en elle depuis des dizaines d’années, nous nous sommes dit qu’il serait plus sûr de la convaincre de se faire admettre à l’hôpital.
Ce qu’elle a fait. Sans problème. Confiante. Comme nous tous…
Vu que son état était préoccupant, elle a immédiatement été admise en soins intensifs.
Le lendemain nous sommes allés la voir et elle avait le sourire, ses mots croisés calés sur les genoux, un teint un peu plus diaphane à cause des halogènes. Elle nous demande de lui ramener son eau de Cologne, l’odeur de l’hôpital lui déplait.
Les jours suivants furent les mêmes… Lorsqu’ils lui ont demandé de mettre le masque qui l’aidait à respirer elle se plaignait en riant qu’elle avait l’impression d’être dans les tempêtes qu’elle avait connues à St Jean-de-Monts où elle allait en thalasso, et elle nous avouait qu’elle n’aimait pas trop trop ça.
Puis on nous a dit que le masque la gênait trop, qu’elle le refusait mais qu’elle en avait tellement besoin qu’il faudrait l’endormir. Pas longtemps, pas profond, juste un petit coma artificiel de quelques jours, histoire d’enrayer une bonne fois pour toutes cette histoire d’insuffisance pulmonaire, histoire de regonfler les alvéoles.
Alors on est allés la voir les uns après les autres, réellement persuadés que ce n’était qu’un au-revoir. On lui a fait des bisous, on lui a dit de s’éloigner le plus possible de la lumière ahah…
Je ne sais plus du tout ce dont on a parlé toutes les deux à ce moment là, mais je savais que je lui tenais la main et que la psy de l’hôpital m’attendait, et qu’elle était manifestement pressée. Comme je voulais expédier cette femme inconnue, j’ai vite embrassé Mamie et j’ai retiré ma main de la sienne. Et elle ne me lâchait pas assez, il a fallu que je sois brusque. Et ça je le regrette tellement…
J’ai expédié Mamie durant son dernier moment de conscience, un moment où elle avait peur, et juste pour ne pas faire attendre une nana inconnue.
Les jours suivants, Mamie était endormie et intubée, nous lui parlions, nous lui passions de l’eau de Cologne sur le visage, nous la coiffions. Elle semblait bien.
Et puis un soir on nous a dit qu’elle était vraiment forte, qu’elle se battait vraiment bien mais qu’elle ne pourrait pas se réveiller. Qu’il faudrait couper les machines et voir seulement ce qui se passerait, comment elle se comporterait.
C’est ce qu’ils ont fait. Ils nous ont assuré qu’elle ne souffrait pas, et qu’elle était même sur le point de se réveiller. Mais ils ne voulaient pas stopper totalement le coma car la situation serait trop anxiogène pour elle, une fois consciente elle se serait su condamnée, elle se serait rendue compte qu’elle ne pouvait plus respirer convenablement, elle aurait paniqué et ç’aurait été trop difficile…
Une semaine s’est passée ainsi. Une semaine où on lisait son combat sur son visage. Une semaine entière où, endormie, elle bougeait la tête pour nous dire qu’elle nous entendait… Elle a même eu certaines de ses mimiques habituelles : un haussement de sourcil pour dire que ce n’est rien, un demi sourire à notre rapport d’une situation amusante…
Mais ce n’était pas supportable, elle devait se résigner, et tout le monde le savait et personne ne pouvait rien faire. Sauf elle.
Lors de notre dernière visite, je l’ai vue seule. Et je lui ai dit que ça suffisait. Je lui ai dit qu’il fallait arrêter de lutter, qu’on l’aimait mais que ce ne serait pas possible, qu’elle devait lâcher prise, nous laisser et partir.
Deux heures après ils nous ont appelés. Elle m’avait écouté.
Comment imaginer qu’aujourd’hui c’est fini
Qu’avant ce printemps là, soudain tu as quitté
La veille justement pour ne pas nous gâcher
Tous les autres printemps du reste de nos vies
20/03/05
Les autres billets de cette rubrique :
Le jour où… j’ai été consulter un voyant !
Le jour où… j’ai acheté un poussin à l’animalerie !
Au moins tu peux te dire que tu l’as accompagnée et a été présente autour d’elle, même si à cause d’une (connasse de) psy sans aucune empathie tu as pressé le moment où vous avez pu échanger avec elle consciente.
Je comprends vraiment ton regret car de mon côté je n’ai vu aucun de mes grands-parents avant leur mort, mes parents nous en ont toujours protégés et j’étais trop ado encore à 18 ans pour avoir une relation adulte avec eux. Comme ça, j’ai appris la mort de ma grand-mère au téléphone quand le prêtre a appelé chez mes parents pour réservé la date, j’ai décroché en leur absence. Je m’en veux terriblement de ne pas avoir pu dire au revoir et de ne pas les avoir vu plus, car tu vois aller chez ses grands-parents c’est chiaaant.
J’aurais aimé avoir fait la moitié de ce que tu as fait.
Oui, je suis consciente d’avoir eu une très grande chance : je lui ai dit tout ce que j’avais à lui dire. La boucle a été bouclée et pour ça je suis heureuse !
:)
merci
Alors d’abord je m’ennerve sur ton FaceBook et maintenant je pleure sur ton blog. Maiiis heuh j’ai même pas fini de manger c’est pas juste :(
:) C’est pas donné à tout le monde de pleurer la bouche pleine…
Merci pour ton petit mot !
L’émotion de ton texte m’a submergée.. Je ne trouve pas les mots..
Je suis sure que maintenant elle te protège et veille sur toi.
Bisous ma belle..
C’est très gentil :)
ouf… c’est poignant, triste et beau à la fois… comme c’est déjà dit plus haut : tu as pu lui dire au revoir et elle partir en paix…
Merci…
Oui, l’au-revoir est important !
Même triste, c’est une bien belle histoire.
Merci
[…] autres billets de cette rubrique : Le jour où… je lui ai permis de mourir. Le jour où… j’ai été consulter un voyant ! Le jour où… j’ai acheté un […]
[…] billets de cette rubrique : Le jour où… j’ai été soignée par l’hypnose. Le jour où… je lui ai permis de mourir. Le jour où… j’ai été consulter un voyant ! Le jour où… j’ai acheté un […]
Je te lis souvent et je ne prends jamais le temps de commenter (je sais, c’est nul !) mais là j’ai un tel pincement au coeur que je suis obligée.
Il est très touchant ton article. Le jour où mon papy est parti je crois que je suis un peu partie avec lui. Je t’envoie plein de douces pensées.
Merci (et oui, c’est nul, tu devrais commenter plus souvent, je répondrai toujours…)
C’est aussi pour lire ce genre de billets que j’aime te lire. Tu mets tes émotions sur la toile et je suis toute boulversifiee. .. moi aussi ma Mémé me manque
Merci <3
[…] c’est la fête des grands-mères, et que j’aurais volontiers offert un bouquet à Mamie si elle avait été vivante aujourd’hui. Mais je ne me serais pas contentée de mes propres fleurs de mon propre jardin (je n’ai pour […]
[…] La jeune fille essaye de retirer sa main mais l’autre la retient. Un coup sec lui permettra de se libérer. Noir. […]