Le paquebot de ma vie.


Ma vie en général / jeudi, avril 7th, 2016

qmIISon premier nom, c’était G32 !

C’est celui que les ouvriers lui ont donné au Chantiers, c’était un nom de code, comme un petit sobriquet pour parler entre-eux de ce ‘petit’ bateau qu’ils construisaient à Saint-Nazaire…

Un p’tit bateau qui tombait bien pour l’entreprise… Un p’tit bateau tout dans la démesure : il sera le plus grand, le plus beau et le plus cher.

Concrètement, je ne sais pas pourquoi je suis tombée amoureuse, y’a pas de marins dans ma famille (même éloignée), pas de bretons et pas d’ouvriers de chantiers navals… Non, ça m’est tombé dessus, comme ça, sans signe avant-coureur.
Et puis pas de tous les bateaux, non, seulement de lui, le Queen Mary II !

Tout a commencé en décembre 2001. Une commande de la Cunard aux Chantiers de l’Atlantique Alstom de Saint-Nazaire. Il fallait remplacer le Queen Elisabeth II et il fallait du lourd !

Le 16 janvier 2002, la découpe de la première tôle commence. Et puis la construction était bien partie…
Chaque jour, les habitants de Saint-Nazaire découvraient un étage de plus à cet immeuble flottant. Le bateau s’immisçait à leur environnement familier et tout était pour le mieux, il modifiait leur(s) horizon(s).

J’ai commencé à aller le voir lorsqu’il a vraiment eu sa forme de bateau. Profitant des différentes expos, dans les différents musées, j’arpentais les quais vers le vieux môle ou tentais d’approcher le chantier au plus proche pour tenter de l’apercevoir et de faire des photos.
Je suis retournée suivre son évolution totalement fascinée au moins deux ou trois fois. Ce chantier était un gros morceau, une vraie fête pour les habitants, une opportunité et un coup de cœur.

Et puis il y a eu l’accident. Une passerelle d’accès a cédé lors d’une visite exceptionnelle réservée aux membres des familles des ouvriers. Le navire était en cale sèche, en cours d’armement. J’ai été choquée.
Le 17 novembre 2003 j’écrivais :

Samedi, 14h30 c’était une visite exceptionnelle, mais c’était leur dernière. Vous savez tous ce qui s’est passé à Saint-Nazaire ce jour-là, je ne vais pas en rajouter une couche.

Moi je ne connais personne là-bas, mais je sens étrangement que cet endroit m’est lié. J’aime le bateau, j’aime les chantiers…

Alors j’écris ceci pour Jacques, Annie, Léa, Daniel R., Patrick, Yves, Daniel D., Charlène, Brigitte H., Rosemonde, Renée, Michel qui sont décédés sur le coup, ainsi que pour Brigitte O., Céline, Danielle qui ont succombé à leurs blessures à l’hôpital.

Dans un peu plus d’un mois, ça devait être la fête, j’ai réservé mon hôtel et mon billet. Je voulais voir le bateau pour la dernière fois… J’irai, c’est sûr, mais le feu d’artifice (s’il a encore lieu) aura des couleurs sombres. Déjà que je pleure devant les infos, alors je ne vais pas arrêter une fois là-bas…

A chaque grand édifice son lot de condamnés… Mais pour ce bateau, tout s’était jusqu’alors bien passé, les conflits sociaux avaient vite été passés sous silence mais la majeure partie des gens en étaient satisfaits. Mais là je me demande pourquoi ?

Pourquoi était-il en fond de cale ? Pourquoi ça s’est passé justement ce jour là ? Pourquoi pas dans l’eau ? Pourquoi pas de filet de sécurité ?

Je pleure ces disparus que je ne connaissais pas. Je pleure pour les familles, je pleure pour le navire, je pleure en entendant sa corne de brume…

Pendant le mois qui a suivi, les lumières des quais de l’estuaire ont été échangées par des ampoules bleues, et la chanson de Barbara « Ma plus belle histoire d’amour c’est vous » passait en boucle.
Un hommage émouvant, j’en choppais la chair de poule.

Et puis il y a eu le départ.

Le 22 décembre 2003, la jetée du vieux môle a supporté mes cent pas pendant 6 heures d’affilée. Je voulais être bien placée pour filmer et faire des photos mais je savais que je ne serai pas seule, alors je suis arrivée (très) en avance. Il faisait froid mais le temps était beau.

Le bateau devait partir avec la marée, la plus grande, parce que sinon il raclerait le fond, ce serait con !

Et puis vers 16h24, on a commencé à entendre des gens dans la foule : « eh mais il bouge ! ». Il commençait à reculer, avec précautions, tout doucement.
Je ne l’avais jamais vu naviguer, je n’avais jamais fait le voyage pour l’un de ses essais en mer, j’ai été impressionnée.

Lentement il recule, guidé par les pilotes, il tourne, cul au pont  afin de passer devant le môle en nous présentant son flanc tribord.
Là il y avait une banderole que personne n’attendait. Un grand « Merci Saint-Nazaire » en rouge sur fond blanc. Frissons d’émotion.
La patrouille de France fait un ou deux petits passages avec la fumée bleue-blanc-rouge puis le géant part tranquillement vers le large, toujours accompagné des tugboat qui dégainent leurs jets d’eau, des hélicos qui tournent comme des mouches et du coucher de soleil qui sublime le tableau.

En passant devant nous, il a actionné sa corne de brume.
Vous savez quoi ? J’en pleure encore.
Je regarde la vidéo que j’avais tourné ce jour-là pour mieux vous raconter, me remettre dans l’ambiance et en l’entendant de nouveau aujourd’hui j’en pleure encore !
C’est une émotion que je ne peux expliquer… Je ne mets pas de mots dessus.


Je ne mets de mots sur rien d’ailleurs.
Ni sur cette émotion qui me taillade le cœur, ni sur la collection surréaliste que j’ai commencé à cette époque là.

Tout ce qui touchait à ce paquebot était irrésistible pour moi, et puisqu’il s’agit de vous montrer à quel point ma frénésie m’a emportée, je vous ai même fait une petite vidéo !

Y’a ma voix, mon vieux pull et même Blogo inside :)


 

Ce billet fait partie du projet « Un défi ou un écrit » pour la 14ème semaine
Il participe à la partie défi « Toucher la connaissance »
où je devais vous parler d’une passion que vous ne me connaissiez pas.

14 réponses à « Le paquebot de ma vie. »

  1. C’est comme une naissance, moi aussi ça m’aurait marquée. Surtout que tout l’imaginaire des transatlantiques, c’est un champ libre aux rêves…
    Dans une très grande moindre mesure moi j’ai ce petit truc pour les sous-marins nucléaires que je vois depuis des années partir et arriver en face de chez moi. Comme quelque chose de naturel dans mon paysage.
    Tu devrais faire un voyage dessus !

    1. Chez toi ????
      Euh ton chez toi de Versailles ?

      Bon, j’avoue que j’adôôôôre aussi les sous-marins nucléaires. Je ne compte plus le nombre de mes visites du Redoutable ou de l’Espadon.
      Je m’y connais aussi pas mal

      1. Bah oui à Versailles… Les SNLE français ils patrouillent pas dans le Grand Canal ? Ah non ce sont des carpes ? Oh mince ! XD

        J’habite à Versailles (et j’apprécie Versailles), mais ce n’est pas mon chez-moi de cœur, c’est là où je vis seulement :) Même si je commence à réaliser que pour Lucie mon petit foyer sera sa maison d’enfance (et ça me fout une pressiooon).

  2. je ne t’imaginais pas avec cette passion presque viscérale. Je préfère les grands voiliers (partir 6 mois sur le belem <3 <3 <3) mais tes mots résonnent tout aussi bien avec tes gros bateaux motorisés :-)

    1. Je trouve les passions pour les voiliers plus… noble, pure, moins mercantile et tape à l’œil.
      Mais j’aime pas :)
      J’suis pas fan de l’océan moi en réalité, il me fait peur, je le respecte…

  3. Oui, tu m’as surprise sur ce coup ! C’est une passion que je ne t’imaginais pas.

    Et je trouve ta pièce maîtresse inutile mais tellement rare, authentique et chargée d’histoire (oui, oui, au moins tout ça).

    Merci d’avoir partagé ça avec nous !

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