Le sans-couille


Ma vie de prof des écoles / mardi, novembre 17th, 2015

« Noie-toi dans le boulot », qu’on m’a dit…

Alors moi je veux bien me noyer, pour oublier le film d’horreur que je me rejoue en boucle dans ma tête, pour essayer de dormir plus de deux heures consécutives ou pour cesser de pleurer…

« Sois-là pour les gamins, c’est aussi notre rôle », qu’on a ajouté.
Ouais, je veux bien mais en réalité je ne sais pas qui était là pour l’autre dans cette histoire. Comme quoi, chialer devant 30 paires d’yeux c’est possible. Et les parents qui viennent te voir pour te dire qu’ils sont là pour toi.
Là c’est certain, j’ai pas été très professionnelle, mais au moins on l’a eue cette heure de dialogue que souhaitait la ministre, parce qu’à chaque fois que je ne pouvais pas continuer, je les laissais poser leurs questions.

« Et pense à l’équipe, on est là nous… »
La plupart sont là. Bestco est parfaite, avec ses 13 ans de moins que moi elle me materne tellement que je pourrai presque en avoir honte. Et une autre m’a envoyé un texto magnifique pour me dire que si elle ne venait pas me parler, c’est parce qu’elle savait que je préférais gérer seule, mais qu’elle pensait à moi.

Sauf qu’il y a un sans-couille dans le lot.
Jusqu’à aujourd’hui je l’ai toujours estimé, et malgré son immense propension à faire chier le monde par son laxisme, je lui ai toujours trouvé des excuses.
Et aujourd’hui je lui ai demandé de fermer le portail de l’école après avoir fait sortir sa classe.
Une fois, puis deux.

J’ai réveillé la bête, j’ai titillé l’égo du Grand Monsieur Cyclothymique.
Et voilà qu’il a commencé à me gueuler dessus dans la cour, face aux enfants, près d’un parent. Et moi qui susurrais sans serrer les dents « pas devant les élèves, pas devant les élèves… » et lui qui continuait jusqu’à ce que la directrice nous pousse dans le bureau avant de s’esquiver je ne sais où.

En temps normal, l’Ago à grande gueule l’aurait très rapidement remis à sa place à grand renfort de vérités bien placées (parce qu’envers lui on en a gros) et de mots de plus de trois syllabes.
Ancien hippie de mes deux, elle est où ta doctrine peace and love, tu l’as enterrée au moment de ton embourgeoisement ducon ?
Tu ne te poses aucune question quand tu vois tes élèves jouer à chat sur les tables durant ton cours par hasard pauvre tâche ?
Mais aujourd’hui je ne pouvais juste pas, ce qui sortait de mes yeux n’étaient que larmes et émotion merdique.

Il a choisi son moment. Il m’a attaquée alors que j’étais déjà au sol.

Ça a duré exactement 10 minutes. 600 secondes durant lesquelles il a postillonné à 3,5cm de ma figure, dans ma classe, là où il m’avait suivie. J’ai dû lui répondre durant 30, et ensuite je me suis tue.
J’ai fixé un point, l’extrémité de la trousse PSG de Vincent, et puis j’ai tenté de me rappeler de tête des paroles des 13 chansons de ma chorale. J’ai eu le temps car il ne s’arrêtait plus.

Personne n’est venu. Je ne sais pas où ils étaient tous.
Lui faisait des allées et venues, il allait s’en aller et puis il se ravisait et revenait à la charge, rendant à chaque fois son chemin plus long, comme les rats mâles qui explorent les lieux. Les femelles font des cercles, les mâles vont en ligne droite.

J’ai appris beaucoup sur moi aujourd’hui. Que je suis une sale petite donneuse de leçons, que je ferais mieux de me regarder avant de parler, que j’ai un faciès agressif, qu’il est la victime, que je suis son bourreau, que je ferais bien de réfléchir avant de parler, que j’agresse, que… we are the world, non non rien n’a changé, j’suis trop petit pour me prendre au sérieux… Ouais, je mélange, j’ai réussi à m’évader la plupart du temps. Je revenais lorsqu’il agitait son trousseau de clés à 2cm de mes yeux.

Et il est parti.
J’suis restée sans bouger, carrément choquée de l’attitude de cet homme contre lequel je n’avais jamais rien eu.
Sorti de la classe.
Sorti dans la cour.
Parti.

Et puis revenu, parce que non, il n’avait pas terminé en fait… Il revenait pour un autre ultime délit que j’avais dû commettre un jour contre sa petite personne.
Et là je lui ai fait fermer sa gueule, enfin.
« T’as pas fini ? T’as pas fini ? ça fait 10 minutes que tu m’enchaînes et tu n’as pas encore fini ? Je ne veux plus te voir, je veux que tu sortes, je veux que tu sortes. »
Je n’ai pas été méchante car je ne pouvais pas, pas là, pas maintenant, pas aujourd’hui.

 

Lorsque Bestco est arrivée, elle est tombée de haut, puis s’est mise en colère à l’annonce de mon récit. Elle partait le démonter du haut de ses 20 berges si je ne l’avais pas retenue. « Quand je vois l’état dans lequel il t’a mise, je vais lui éclater sa gueule »… Merci mais ce n’est pas à toi d’y aller.

Cet enculé a choisi la bête blessée pour passer ses nerfs, et celle que d’habitude il n’ose pas titiller, parce que le sans-couille n’attaque pas les meilleurs que lui, jamais. Là je n’allais pas bien, là je me trimballe une brèche de la taille du Nevada, alors forcément il ne lui a fallu que quelques heures pour s’y engouffrer, lui et sa lâcheté.
Je suis un vieil éléphant, je garde les actes, les mots et tous les souvenirs. Je pose bien gentiment mon coude sur le dossier « faute professionnelle » et je saurai le relever en temps voulu, devant témoins, voire inspection…

J’ai un fort caractère mais pas 24h sur 24. Et en bonne adepte des émotions fortes, quand je vais mal, je vais très mal. C’est le moment idéal pour les attaques de sans-couilles, je vais finir par m’habituer, je vais finir par savoir répliquer au moment où.
Pour l’instant je ne peux rien.

17 réponses à « Le sans-couille »

  1. Quel connard ce mec… Il y a des spécialistes… ils te pompent ton énergie au moment où ils te sentent blessées… Tu sauras, en temps voulu, lui clouer (définitivement) son caquet !
    Enormes bisous

  2. J’ai envie de te serrer dans mes bras pour te réconforter…mais en même temps, ce récit me fait mal car il me met face à mes difficultés : comme toi j’ai un fort caractère et je suis un peu extrême…Quand ça va bien, CA VA SUPER BIEN et quand ça va pas, je suis très très mal….Et ces sans-couilles comme tu les appelles ADORENT profiter de cet état pour cracher toutes leurs frustrations, tout leur venin.

    Gros bisous de réconfort <3

  3. Non mais quel connard! Je crois que je n’aurais pas non plus su quoi dire. D’ailleurs je ne le sais pas plus en te lisant.
    Opportuniste : il profite d’une faiblesse pour cracher son venin. Aucun courage…

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