Le syndrome de la vieille tante.


Ma vie d'associale, Ma vie d'écrivain, Ma vie d'éternelle enfant / samedi, février 1st, 2020

Imaginez…
Un dimanche après-midi, un repas de famille.
Autour de la table, les adultes sont occupés avec des conversations de grands, ils mangent depuis quatre heures et boivent depuis cinq et demi.

Autour de cette table gravitent quelques enfants qui s’amusent entre eux, qui tentent d’attraper le chat pour lui enfiler une robe de poupée ou qui essayent de chatouiller les pieds des adultes sous la table, surtout ceux de pépé qui a retiré ses chaussons.

Moi j’étais la petite fille qui ne s’amusait pas avec les autres, parce qu’ils me semblaient trop petits, ou qu’ils ne m’intéressaient que quelques minutes avant de me lasser.
Alors je revenais à table, et je tentais de suivre quelques brides de conversations de grands. Mais immanquablement, quelqu’un me remarquait, trouvait sans doute que j’avais l’air de m’ennuyer et commençait à me poser des questions sur mes journées d’écoles ou sur les jouets que j’aimais…

A l’époque, comme maintenant, je partais au quart de tour lorsque quelqu’un daignait s’intéresser à moi, et je n’arrivais plus à m’arrêter de montrer que j’étais là.
C’est ainsi que je finissais par faire tout le tour de la table en présentant à chaque personne une nouvelle coiffure de Barbie, un dessin que la maîtresse aimait, le dernier cadeau de la fête des mères ou mon cahier d’histoires écrites et illustrées par mes soins.
Certaines fois, j’allais même jusqu’à les obliger à assister à un « spectacle » créé de toutes pièces dans le dernier quart d’heure.

Forcément, tout le monde s’en foutait… Mais par respect et politesse envers ma mère, ils souriaient et murmuraient des « très jolis » du bout des lèvres avant de se resservir un verre de rouge.

Sauf une personne !
Souvent, il s’agit d’une personne âgée, une vieille tante ou une grand-mère… Une femme qui semble revenir d’une époque où l’on traitait les enfants comme des rois, ou bien juste quelqu’un qui m’aimait tellement que tout ce que je pouvais faire était estimé à une valeur avoisinant un Léonard de Vinci période 1490.

« Regarde Tatie mon collier de nouilles dorées avec des paillettes vertes
– Oh ma chérie comme c’est beau !
– Et ça Tatie, t’as vu ? C’est une boîte que j’ai fait avec du carton de paquet de gâteaux et dedans j’ai collé des scarabées morts, t’as vu, ils sont verts !
– Formidable, mais où trouves-tu ces merveilleuses idées ?
– Et je t’avais montré la lettre que j’avais écrite à la Nasa pour savoir si les extraterrestres existent ? J’avais tout bien décoré l’enveloppe.
– Oui, tu me l’avais montré, elle était magnifique, ils te répondront, j’en suis sûre ! »
Et ainsi de suite jusqu’à ce que la vieille tante tombe dans un demi-sommeil éthylique au dessus de sa tasse de café.

Tout ce que je montrais était naze, aucun talent n’émanait de mes créations, mais ma vieille tante était trop gentille pour me le dire. Elle faisait partie de ma famille et m’aimait, en me disant que ce que je faisais était merveilleux, elle me le prouvait !
C’est gentil, évidemment, mais sa parole n’est en aucun cas un jugement de qualité !

Depuis que je suis adulte, lorsque je présente certaines des choses que je fais autour de moi, que ce soient des photos, des écrits, des créations manuelles… je suis intimement convaincue que les gens qui trouvent ça bien souffrent du syndrome de la vieille tante : ils me connaissent, ils m’estiment ou apprécient ma personne, alors ils vont dire de jolies choses histoire de ne pas me froisser.

L’année dernière, j’ai raflé deux prix sur trois au concours de nouvelles organisé par une médiathèque.
J’ai été très surprise car aucun membre du jury ne me connaissait ni ne faisait partie de ma famille proche ou moins proche. Pas de vieille tante à l’horizon !
Mais j’ai quand même gagné, et de loin.
A cette fierté s’est ajoutée une sorte de gène, comme si j’étais une fielleuse usurpatrice et que j’avais floué de pauvres gens innocents. Bref, ceci est une autre histoire.

Le fait est que depuis, je n’avais pas osé retourner à la médiathèque !

Mais aujourd’hui, un atelier de naturopathie y était organisé. Près de huit mois après ma victoire, je me disais que c’était une bonne occasion de repointer le bout de mon nez. La gène s’est dissipée et on n’est même plus dans le même cadre…
Je suis tranquille.

« Excusez-moi mais ce n’est pas vous qui écrivez si bien ? » a été la première phrase d’une des employées au moment de mon arrivée. J’ai souri poliment et j’ai dit que si mais que je n’avais pas osé revenir à la médiathèque depuis car justement ça me gênait un peu (j’espèrais que du coup elle n’insiste pas)
« Ah non hein, il ne faut pas, j’étais dans le jury et on a quasiment été unanimes, votre texte était tellement… » Je la coupe en la remerciant et vais m’asseoir dans le coin le plus sombre et le plus éloigné de la salle accueillant l’atelier.

A la fin de l’heure de naturopathie (qui était vraiment très instructive), quelqu’un d’autre est venu m’aborder, puis un couple de vieilles dames.
« Vous ferez nous l’honneur de participer au concours cette année ? » M’a-t-on demandé avec des étoiles dans les yeux…
J’ai bafouillé, probablement rougi aussi et me suis enfuie tellement vite que j’en ai oublié mon manteau, il a fallu que j’y retourne !

Mes certitudes quant au syndrome de la vieille tante en ont pris un coup aujourd’hui. J’ai eu l’impression d’être la star du quartier alors que je suis persuadée de ne rien avoir pour y prétendre.

Ou alors ces gens souffrent-ils d’un autre mal, un autre syndrome, ou même un symptome ? Je vais me pencher là-dessus…

11 réponses à « Le syndrome de la vieille tante. »

  1. C’est terrible cette impression d’imposture… Sauf que les réactions des gens sont EVIDENTES (alors que rien ne les y oblige) : il est manifeste que ton travail les a vraiment impressionnés :)

    Il va falloir t’y faire… petit à petit… ;)

    Félicitations de nouveau en tout cas !!!

    1. Encore merci donc :)

      Il va falloir que je travaille là-dessus, c’est indéniable. Parce que je pense que c’est aussi pour ça que je bloque sur mon travail pour l’éditrice et que je rechigne à finir mon roman sur les anges… Et pourtant j’aimerais tellement le porter plus loin celui-là !

  2. Oula, et si tu prenais les choses comme elles viennent sans essayer d’y trouver forcément un sens ? On t’apprécie, ne te sens pas comme un imposteur !!! Tu es une adulte et je doute qu’on te prennent avec « des pincettes » comme quand on est gosse…. C’est compliqué n »est ce pas?

  3. Cet article je l’ai lu il y a longtemps et je m’étais promise de commenter, et je voulais tellement tenir ma promesse que l’onglet est resté ouvert des mois et que je viens de retomber dessus (bordélique, moi ?)
    Bref, revenons à nos syndrômes.
    « Alors je revenais à table, et je tentais de suivre quelques brides de conversations de grands. » >> déjà juste pour te dire que la petite coquille m’a faite sourire, en tant que serial crocheteuse ;-)

    Ensuite, je reconnais là quelques traits de caractère : impossible d’accepter un compliment sans balancer une phrase derrière pour se dévaloriser un peu, mais à l’inverse, une envie qu’on reconnaisse notre talent (mais en devenant juste des « oreilles », comme si on creusait un trou pour pas qu’on nous voie, mais qu’on puisse tout entendre sans répondre).

    Mon commentaire n’est pas aussi construit que je l’aurais souhaité, mais je me rappelle avoir voulu te féliciter chaleureusement en tout cas <3

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