Mes tentatives de vie.


Ma vie d'associale, Ma vie d'écrivain, Ma vie de grande malade / mardi, décembre 6th, 2016

errance G. tente souvent de se suicider.

G. est passée plusieurs fois à l’acte, et s’est toujours loupée. Heureusement, ou malheureusement, selon l’angle avec lequel on voit les choses.

G. passe par de nombreux moments où elle n’éprouve plus le désir de vivre et où elle souhaite mourir. Pour de vrai, pas pour appeler au secours ni pour exister aux yeux d’autrui. Juste parce qu’elle en a marre, qu’elle n’en peut plus et que chaque journée est un fardeau qui ajoute encore un peu plus de poids à sa charge déjà trop lourde.

G. est prise en charge et avale deux douzaines de pilules par jour, de toutes les couleurs, pour éviter de penser que tout serait plus simple si elle ne se loupait pas…

J’ai toujours été différente de G.
Je la comprenais sa peine, j’ai connu toutes les étapes de sa vie, pas drôle du tout, pas facile à vivre, c’est vrai. J’ai toujours su ce qu’elle avait dans la tête, je connais chaque étape et chaque mécanisme qui définit son mode de fonctionnement.
Et je n’ai jamais tenu la comparaison…

Jusque là je me disais qu’à côté d’elle j’étais une petite joueuse.

Moi je me suis mutilée.
J’ai coupé bien franchement et parfois même bien profondément. Mais pas aux poignets, jamais au cou. Je ne visais pas les endroits qui auraient pu me mettre en danger, pas parce que je ne les connaissais pas (non, j’étais secouriste, je le savais très bien), mais simplement pour ne pas me tuer.
Je tombais, je saignais, je me frappais, voilà tout.

Je me disais que j’étais une peureuse, que je n’arriverai jamais à passer à l’acte. Et je mettais ça sur le dos des gens qui seraient restés : ma mère, ma grand-mère.

Moi j’ai cessé de manger.
Souvent et longtemps. J’ai eu quelques carences, mais j’avais surtout une sensation de légèreté incroyable. J’ai toujours été bien lorsque j’avais faim. Je mange encore très peu. Tiens rien qu’en ce moment : hier un petit déj et une soupe. Aujourd’hui un pamplemousse.
Mais je n’ai jamais eu de malaise hypoglycémique, je ne me suis jamais écroulée physiquement.

Je n’ai jamais perdu le contrôle.

Et pourtant la souffrance a toujours été là… intérieure, sournoise, arrivant par vagues à des moments imprécis et rarement détectables.
Un gros sentiment de ne plus pouvoir continuer moi non plus, plus comme ça !

Je pensais que c’était le même mal que G.
Je pensais que je voulais mourir.

Mais aujourd’hui je me rends compte que non.

Le sens de la vie noyé dans les questionnements infinis : la douleur de vivre.

L’envie de vivre est intacte, ce qui est très différent de l’état suicidaire. Mais la difficulté de vivre est insurmontable […]

Par moments, quand la vie n’est plus excitante, que le surdoué est pris dans un tourbillon qui le satisfait et l’apaise, la question s’éloigne au fond de sa tête.

Mais, dès que le cours de la vie devient plus plat, plus terne, qu’une déception ou qu’un échec entrave le parcours, la question resurgit en force et se place, implacable, entre soi et le monde. Elle devient incontrôlable et mortifère. […]

« Comment vivre cette vie-là comme ça ? »

Jeanne Siaud-Facchin. Trop intelligent pour être heureux ? L’adulte surdoué.

Jeanne Siaud-Facchin a mis le doigt sur ce que je n’avais pas approché.

Ma mort a toujours été une mise en scène pour moi. Je l’imaginais par miroir dans les yeux de ceux que j’aimais. J’avais déjà tout prévu : mon testament est fait depuis 1998 (et obsolète depuis le temps) et le plus grand rêve de mes 20 ans était de planifier et financer mes obsèques.

Ma mort est une nouvelle écrite en 2003 :

Il fera beau ce jour là, peut-être que le printemps aura déjà commencé…
Ce sera en mai, sûrement, quand les arbres seront en fleurs et lorsque les gens seront enfin heureux de voir arriver la fin de l’hiver.
Toute la famille sera réunie pour l’occasion, il y aura même, sans doute, des personnes rarement vues, trop longtemps ignorées ou assez vaguement parentes. Les uns et les autres parleront ou se tairont mais cesseront pour ce jour et pour quelques semaines ensuite leurs querelles inutiles, si futiles, rarement graves si ce n’est à leurs yeux.
Cette réunion se passera là, dans ce jardin que j’aime tant, en plein air pour profiter du soleil, de cette façon les plus petits enfants pourront jouer et courir, crier et rire.
Mes rares amis seront aussi sans doute présents, je pense qu’ils se connaîtront et qu’ainsi ils ne se sentiront pas trop lésés entourés des inconnus de la famille lointaine. Peut-être iront ils marquer l’événement ailleurs, ce sera comme bon leur semblera. On ne les obligera en rien.
J’imagine vraiment parfaitement la scène. Il y aura un buffet, que les gens négligeront comme dans toute grande occasion. Beaucoup de chaises seront disponibles, il ne faut pas oublier les vieilles personnes, comme mon arrière grand mère, je veux qu’elle puisse se reposer, qu’elle s’asseye calmement pour penser à l’avenir. Ce sont ma mère et ma grand-mère qui œuvreront pour le buffet, elles sont si douées qu’elles sauront préparer les mets si simples et pourtant si sophistiqués qui seront disposés sur ces antiques draps blancs servant de nappes.
Mon oncle viendra avec son ami, ce sera l’occasion rêvée pour le présenter. Sa fille, se dira qu’elle n’a sans doute pas bien fait de mettre de si hauts talons.
Ma tante comprendra encore une fois mal mon choix mais ne demandera rien, préférant croire à son point de vue. Le père de ses enfants aura quand même fait l’effort de se libérer ce jour là, sera ce pour moi ? Pour elle ? Ou bien pour montrer aux autres qu’il peut quelques fois être présent ? Cette question restera une fois de plus sans réponse. […]

Aux gens qui seront mécontents, à ceux qui me mépriseront, a ceux qui pourraient me le faire regretter et à ceux qui tenteraient encore de me critiquer…
Alors à tous ceux là, je dirai que j’ai fait ce que je voulais, que pour une fois j’ai pensé seule, et que par ce geste égoïste je coupe les ponts. C’est terminé…
Au moins, j’aurai gardé mon nom de famille.

Ne pleurez pas,
Le plus dur, c’est la mise en terre…

LM

Je n’ai jamais fait de tentative de suicide.

Je me concentrais sur mes tentatives de vie.

21 réponses à « Mes tentatives de vie. »

  1. C’est drôle, j’ai l’impression qu’on est pareilles sur plein de choses… L’impossibilité à vivre le vide, la scarification, le rapport à la nourriture mais l’absence d’envies suicidaires — et l’impression de ne pas « tenir la comparaison »… Pourtant quand on y réfléchit, la « victoire » (faute d’un meilleur terme…), ça devrait être de rester un tant soit peu à distance du gouffre. Mais c’est plutôt le contraire qu’on ressent, comme si on n’était même pas « capables » d’aller au bout des choses…

    Brave saloperie, dans le fond…

  2. Pareille, en ce qui concerne la douleur de vivre… Il m’est arrivé de me scarifier le visage et les bras pour tenter de faire sortir la douleur quelle qu’elle soit parce qu’elle était trop intense. Mais je n’aurais jamais imaginé que mes aïeux viennent à mon enterrement…

  3. D’accord, ce que tu as écrit est la version « noire » de ta belle histoire. Ta vie est une belle histoire, et c’est la tienne. Ce n’est pas le scénario d’un mauvais polar qui finirait ainsi. Ta vie, tu la mènes comme tu l’entends, et personne ne peut te la prendre. Cependant, je vois une autre suite pour ta vie. Tu n’as pas encore tout vu, tout entendu, tout découvert, tout senti, tout touché. Il n’y a qu’une route derrière toi mais une multitude devant toi. Et le chemin du trou n’est pas pour toi. Fais un pas à droite (ou à gauche), et continue ta quête de vérité. Le bonheur n’est pas inaccessible, il est souvent très proche de soi, mais on refuse de le cueillir …

  4. moi je l’ai tenté… plusieurs fois… pour arrêter mon coeur de trop penser. la mort m’a toujours fait moins peur/mal que la vie et j’étais tellement persuadée que je ne manquerai à personne. la scarification aussi je l’ai tenté. mettre une douleur physique sur une douleur plus profonde, plus intime, plus intérieure. mais moi la nourriture elle me console et m’occupe. Ce qui n’est guère mieux.
    … <3

    1. J’arrive à comprendre les raisons qui peuvent pousser quelqu’un à tenter. Cependant je pense qu’à partir du moment où la personne se dit que ce serait un erreur, la partie est gagnée (pas plus facile, mais au moins gagnée)

      1. quand tu es dans le fond du trou… te dire de toi même que ce que tu fais es une erreur, à cette époque en tout cas, ça ne m’aurait pas aidé. parce que je n’avais rien à perdre et rien à y gagner.
        maintenant la responsabilité que j’ai envers mes enfants et la conscience d’avoir soif du monde feraient la différence je pense. ça serait une erreur parce que mes enfants ont besoin de moi et parce qu’ils me restent tant à apprendre. mais à cette époque là, ça n’avait que peu d’importance ;)
        et puis, il faut être capable d’accepter de … arf merde, je sais pas expliquer.
        se le dire soi-même ça serait accorder de l’importance, se donner un peu de valeur. Et quand on en est là, on se déteste tellement que ça paraît pas trop crédible venant de soi-même tu vois ? ouais… chelou c’t’affaire ! lol

          1. toujours repousser le moment en se trouvant une sorte d’excuse ? se dire, nan pas là, c’est untel qui risquerait de me trouver donc ça serait une erreur. ou bien, j’ai promis à bidule de lui apporter le CD de machin demain donc ce serait une erreur. alors c’est finalement qu’on tient encore trop à la vie… qu’on n’est pas au bout du bout, qu’on a encore la force d’y voir un espoir, « ce serait une erreur » parce qu’il est censé y avoir mieux après. mais ça demande une force considérable dans ces moments là. c’est comme marcher sur un fil. d’un côté il y a le vide, pouf tu tombes. tout s’arrête. FIN. et de l’autre une main qui se tend et une voix te dit « ce serait une erreur » mais la douleur elle, elle te pétrifie les doigts… faut lever le bras qui pèse une tonne, peu importe qui tend la main et surtout il faut serrer… serrer fort… une fois que tu es sur la terre ferme, oui, tu as raison ! ça te conforte dans l’idée que c’était une erreur, mais le gouffre il murmure toujours plus ou moins à ton oreille… jusqu’à ce qu’il disparaisse complètement finalement. d’une manière ou d’une autre.
            moui, je suis bizarre, je sais ! mon papa s’est pendu, alors du coup, c’est un sujet que j’ai eu besoin d’approfondir … et puis ça touche à la psychologie alors… (putain pourquoi j’ai pas été à la FAC !!)
            j’aurais aimé m’accrocher désespérément à des « tentatives de vies » plutôt que de vouloir m’arracher parous les moyens à la mienne de vie ;) mais on ne voyait apparemment pas les choses sous le même angles :) heureusement depuis on s’est « presque » rencontré :D <3

          2. Bah, qu’est-ce qui t’empêche de reprendre des études ? C’est tout à fait possible !!

            Bon et sinon non, ce n’est pas ce que je voulais dire avec le « mais ensuite ». Au moment de la pulsion, je ne sais pas…. Moi je n’ai jamais été assez forte pour les court-circuiter mes pulsions, je me suis tapée dessus, j’ai coupé… à chaque fois. Alors là je suis admirative de ceux qui trouvent le courage de ne pas faire le geste qui abrogera leurs souffrances.

            Le « mais ensuite » c’est pour maintenant plutôt…. Maintenant ou bien au moment où tu as été heureuse au point de pouvoir te dire « putain heureusement que je ne me suis pas butée à ce moment là ». Et je pense que ce qui pourrait servir c’est exactement cette prise de conscience, à se rappeler pour relativiser si toutefois l’envie revient.

  5. Bon comme j’ai du retard en lecture bloggesque, je vais prendre le temps de lire tout tes articles avant de faire un commentaire intelligent.

    « Fais gaffe, laisser ta signature dans ton texte pourrait nous faire découvrir qui tu ai ;) »

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