Jeudi soir, j’ai appris la fermeture des écoles par SMS (car je n’ai pas la télé et que je ne m’informe pas, Ex-Best-co m’a avertie).
Au début j’ai cru à une blague.
Jeudi nuit j’ai arpenté tous les sites gouvernementaux possibles et imaginables, j’ai rafraîchi ma boite mail pro toutes les 10mn, j’ai checké 75 fois si mon portable captait bien le réseau.
Mais rien… pas une consigne, pas un signe de vie de mes supérieurs hiérarchiques ou même des syndicats.
J’ai continué à croire au canular.
Vendredi matin, j’étais au portail à accueillir les parents qui me demandaient si c’était vrai, comment on allait s’organiser, comment ça allait se passer…
Je leur souriais en les rassurant avec un aplomb sorti d’on se sait où, j’avais vraiment l’air de savoir ce que je faisais.
Vendredi journée, j’ai fait classe normalement ou presque. On a eu deux débats avec mes CE2, deux moments dans la journée où j’ai essayé de répondre à leurs questions sans rien inventer, en leur disant lorsque je ne savais pas.
Je l’ai beaucoup dit : « je ne sais pas » et j’ai aussi beaucoup dit : « mais on va trouver une solution »…
On a eu aussi un échange sur ce qu’ils ressentaient face à cette annonce, et la chose qui est revenue le plus c’est « je suis triste »… de ne plus voir les copains, de ne plus voir la maîtresse, de tout changer à une vie qui roulait jusque là…
Vendredi midi, on a eu une réunion exceptionnelle, et on nous a annoncé qu’on était quand même attendus à l’école lundi, que toutes nos réunions étaient maintenues, et qu’on devait aussi assurer la « continuité pédagogique », donner du travail et rester en contact avec les familles autant que possible.
D’ailleurs on pourrait leur demander de venir lundi matin chercher les documents, sans enfants, c’est les enfants qui ne devaient plus venir.
Tout a changé depuis.
Vendredi soir, j’ai continué avec mon air de façade intitulé « je sais exactement ce que je fais » et j’ai vérifié auprès des parents que je voyais leurs coordonnées et leurs adresses mail, je leur ai promis de leur donner de mes nouvelles dès dimanche soir.
Et c’est ce que j’ai fait…
Dimanche, lundi, mardi, jeudi, vendredi, dimanche, lundi, mardi.
On en est là.
Saut que cette semaine, je vois que la grogne commence à monter sur les réseaux (pas chez moi, les parents de ma classe sont, pour la plupart, très bienveillants voire même reconnaissants).
Je lis des messages très longs, parfois de profs eux-mêmes, parfois de parents, parfois de syndicats… et je pense qu’il y a quelque chose qui leur échappe.
Cette chose, c’est la raison pour laquelle j’ai fait classe comme tous les autres jours le dernier vendredi (avec une évaluation et tout), et c’est la raison pour laquelle oui, je continue et je continuerai à donner du travail à mes élèves.
Je connais ma classe et les enfants qui la composent, je sais comment ils fonctionnent avec moi, et je sais qu’ils seront tristes, et anxieux…
Je sais que s’il y a une chose que je dois m’assurer de garder constante, c’est ma présence et mon rôle auprès d’eux.
Alors je vais continuer à être leur maitresse…
Celle qui fait des blagues qu’ils sont trop petits pour comprendre mais auxquelles ils rigolent quand même (parce qu’ils me connaissent).
Celle qui fait peur quand elle crie très fort parce qu’elle déteste qu’on se moque d’elle ou qu’on trompe sa confiance.
Celle qui donne des responsabilités pour apprendre à grandir.
Celle qui demande du travail bien fait, et même moins de travail à condition qu’il soit mieux fait.
Celle qui parle de son chat, celle qui leur demande leur avis, celle qui entretient le lien.
J’entretiens le lien.
Mon lien, c’est une fiche PDF quotidienne de 2 pages avec 6 exercices (les mêmes fiches qu’en classe, la même fréquence qu’en classe) dont 3 à me renvoyer scannés ou en photo.
Mon lien ce sont des idées d’activités qui ne sont pas obligatoires mais qui créent une occupation, des idées pour les parents (une recette, une méthode de semis, du yoga…)
Mon lien ce sont des mails quotidiens avec des petits mots des enfants ou pour eux, des nouvelles, des choses qui rassurent, la dernière bêtise de mon chat.
Mon lien c’est leur renvoyer la correction de leur travail, avec mon écriture (palette graphique power) et des petits smileys ou des petits traits d’humour.
Mon lien c’est d’avoir créé un tableau Pinterest où on poste nos clichés, les choses qu’on a fait, nos travaux d’art plastique ou même la photo de nos animaux.
Mon lien c’est tout simplement d’être permanente dans cette période compliquée, de rester fidèle à celle qu’ils connaissent et donc de continuer à attendre d’eux les mêmes choses que d’habitude, ou du moins de leur faire croire.
Parce que même si c’est un leurre, même si les exercices ne sont que des révisions, même s’il y en a moins, même si je n’ai pas plus de certitudes qu’eux, ils doivent pouvoir continuer à compter là-dessus.
Ce travail que j’envoie, je leur dois.
ça s’appelle être une prof géniale… Et une prof qui donne et se donne !
<3
Rho merciiii <3
C’est super ce que tu fais ! Continuer à offrir un semblant de normalité dans une période anxiogène, tout en s’adaptant à cette situation inédite. Les profs de mon fils ont très bien réagi dans l’ensemble, certains ont été un peu trop ambitieux en donnant des pavés de choses à faire dès la première semaine alors que l’organisation était encore tâtonnante, mais globalement ça se passe bien. Il travaille tous les jours, tient ses cahiers au propre. Mais sachant que certains enfants n’ont même pas emmené leurs affaires de cours, j’ai peur de ce que va donner le retour au collège…
Ah j’avais prévu un « faisons notre cartable tous ensemble » le vendredi moi, ils ont même pris plus que prévu, il y a des trucs que je ne vais pas utiliser concrètement, mais ce n’est pas grave, au moins j’ai des solutions de secours si dans 2 mois je me retrouve à cours d’idées :)
et moi je dis merci à toi de la part des élèves et des parents! la maitresse de ma fille fait comme toi, et donc moi en tant que parent je peux te dire que c »est appréciable, car on en a besoin, ça rythme aussi les nouvelles journées de nos enfants !! Merci !
Merci beaucoup :)
J’ai lu le désarroi chez certains parents, et c’était important pour moi de les rassurer aussi. J’ai toujours considéré que parent + enseignant = équipe éducative, et du coup en ce moment plus que jamais !