René et moi…


Ma vie d'écrivain / mercredi, octobre 12th, 2011

IMG_1877J’aurais pu commencer mon histoire avec René bien plus tôt.
Si l’un de mes professeurs avait inscrit Ravage sur la liste des lectures obligatoires plutôt que sur celles des lectures facultatives.

J’aurais souffert avec cette guerre dont je me sens si proche, j’aurais été dérangée d’être si concernée, et j’aurais enfoui le nom de René bien au fond d’une mémoire -Ne pas ouvrir-.

Oui, je pense que je n’aurais pas pu supporter

« Les hommes ont libéré les forces terribles que la nature tenait enfermées avec précaution. Ils ont cru s’en rendre maîtres. Ils ont nommé ça le Progrès. C’est un progrès accéléré vers la mort. Ils emploient pendant quelque temps ces forces pour construire, puis un beau jour, parce que les hommes sont des hommes, c’est-à-dire des êtres chez qui le mal domine le bien, parce que le progrès moral de ces hommes est loin d’avoir été aussi rapide que le progrès de leur science, ils tournent celle-ci vers la destruction. »

Heureusement, René est arrivé dans ma vie bien plus tard, et par un moyen bien plus zen. Un vieux bouquiniste dans une ville thermale me laissa approcher un chef d’œuvre aux pages usées et à la couverture infusée aux encens. Les chemins de Katmandou s’offrirent alors à moi… C’est un livre qui voyage et vous fait voyager, c’est d’ailleurs pour cette raison que je ne vous en livrerai aucun extrait : je ne sais pas où il est… Voilà plus de trois mois que je le cherche sans pouvoir remettre la main dessus, mais je n’en aurai point d’autre, je sais que cet exemplaire là me reviendra…

A partir d’ici, je découvris la première facette de René : une humanité sans bornes… Je décidais alors de tenter La nuit des temps, une de ses œuvres parmi les plus connues. Le décalage est indéniable, il s’agit là d’une étonnante science-fiction… Mais teinté de ce même embryon d’humanité, et quel amour…

« Je suis entré, et je t’ai vue. Et j’ai été saisi aussitôt par l’envie furieuse, mortelle, de chasser, de détruire tous ceux qui, là, derrière moi, derrière la porte, dans la sphère, sur la glace, devant leurs écrans du monde entier, attendaient de savoir et de voir. Et qui allaient TE voir, comme je te voyais.
Et pourtant, je voulais aussi qu’ils te voient. Je voulais que le monde entier sût combien tu étais merveilleusement, incroyablement, inimaginablement belle. Te montrer à l’univers, le temps d’un éclair, puis m’enfermer avec toi, seul, et te regarder pendant l’éternité. »

Pour moi c’était fichu, je me savais happée, je savais que mon cœur était pris par cette littérature prodigieuse. Et le plus étonnant reste à venir. Moi je ne savais rien de René avant de le lire, je ne suis pas du genre à parcourir le CV artistique d’un individu avant d’adhérer à ses créations. C’est à cet instant précis que je me suis mis à enquêter… Et je suis tombée d’aussi haut que ces scientifiques en Antarctique. René est né en 1911 !

Fascinée par cette clairvoyance, cette anticipation, ce génie, je continuais donc sur ma lancée d’œuvres fantastiques avec Le diable l’emporte, puis Une rose au paradis… Que de belles surprises à chaque lecture, comme un fil directeur, presque une saga, dans laquelle Monsieur Gé grave son visage dans nos mémoires…

« Je le répète : j’avais les moyens de donner à l’humanité la chance de survivre. J’ai mis ces moyens en œuvre. Saurez-vous profiter de cette chance et qu’en ferez-vous ? C’est votre affaire, ce n’est plus la mienne. Et je dois dire que cela m’est égal… »

J’aime ces thèmes. J’aime ces trouvailles et les fantaisies que permettent ces explorations et chaque fin est une apothéose… Le voyageur imprudent m’amusa également, c’est un livre que j’offre souvent. Grave sous certains aspects, le divertissement dédramatise…

Mais la science-fiction n’est pas tout, il faut voir comme, à 17 ans, je me suis vite lassée d’Isaac. Le côté positif est que je n’avais pas encore fait le tour des talents de René, et quand je me suis décidé à tenter Ravages, c’était encore trop difficile, je n’étais pas encore prête. J’ai donc abandonné l’entreprise à 6 pages de la fin, bouleversée, et j’ai tiré un trait sur cette catégorie d’écriture durant quelques années…

Toutefois, je n’étais pas décidée à quitter René pour si peu, et je me lançais alors dans le côté conteur légendaire de mon auteur. L’enchanteur me fit prendre un plaisir indescriptible… J’étais au calme, en vacances, dans une tente seule dans un champ. Je n’en suis pas sortie de toute ma lecture, et c’est quelque chose qui ne m’était pas arrivée depuis au moins une dizaine d’années, sans exagérer !

« Ils marchèrent l’un vers l’autre, leurs mains caressant au passage les feuilles et les fleurs. Les oiseaux de Viviane chantaient, et d’autres oiseaux chantaient dans l’île et sur le lac. A mesure qu’ils avançaient, leurs vêtements fondaient dans l’air, et lorsqu’ils furent l’un près de l’autre, rien ne les séparait plus, aucun interdit, aucun regret, aucune honte, aucune peur. Ils étaient ensemble, dans la nudité parfaite de la première jeunesse du monde. »

J’étais peu habituée aux romans historiques ou légendaires, mais René a frappé fort. Avec Les dames à la licorne, il nous fait vivre cette même intensité, mais outre-manche cette fois… Je cherche depuis le roman qui fut la suite, mais il s’avère introuvable puisque non republié, je vais devoir chiner… Je vais m’y atteler.

« Il avait parlé avec une sorte de ferveur sauvage, à peine retenue. le ton de sa voix balaya en grand coup de vent les décors florentins mal ajustés dans la tête de Griselda. Elle sut qu’il avait raison. Elle vit de nouveau, sans les regarder, les lacs et les collines, et derrière eux les étendues mêlées de terre et d’eau sous le ciel gris mêlé de blanc et de bleu. Elle regardait Shawn. Elle répéta à voix   basse :

– Rien n’est aussi beau que l’Irlande… »

Rien que de parcourir ces pages à la recherche des passages à vous faire partager et je m’y réfugie de nouveau… Quelles émotions j’ai pu ressentir dans ces lectures, elles m’ont bouleversées, chacune d’entre elles ! Colomb de la lune revient doucement à la science fiction, mais sans perdre de vue cet amour possible entre les hommes.

Je dois cependant vous faire une confession. Je n’ai pas tout aimé ! Sans revenir une nouvelle fois sur Ravage, je vous  citerai La faim du tigre qui semble être plus un essai philosophique qu’un véritable roman mené par une trame, et je suis au grand regret de me rendre à l’évidence : non, je n’ai pas accroché…

Tarendol est difficile à commencer, mais c’est le seul roman « classique » de René, et pour ça je sais que si je m’y force un tout petit brin, l’intérêt arrivera prochainement.

Je lis René avec parcimonie à présent, puisque son œuvre s’est achevée avec sa disparition en 1985…

Je n’ose imaginer qu’un jour mon aventure avec lui s’arrêtera, lorsque j’aurai tout lu qui m’offrira de tels moments ?

« C’était une femme sans projet, sans mensonge, nue dans sa chair, livrée, et en qui il avait fait naître quelque chose d’aussi profond, élémentaire, que le balancement des laves et des marées. cette joie qui grondait sourdement dans la peau de celle dont il ne savait pas encore le nom, qui grondait comme un lion endormi, comme un orage à l’horizon, qui allait éclater quand il voudrait comme il voudrait, c’était lui qui la donnait et la multipliait, lui, son geste, sa chair, son sou
ffle, ses mains, sa voix. Il était pareil à Dieu transformant le chaos immobile en la création emportée roulée par le mouvement infini…

Et c’est ainsi qu’il commença à l’aimer. »

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11 réponses à « René et moi… »

  1. Barjavel. Je l’savais !

    Contrairement à toi, j’ai commencé par Ravage. Qui pour moi est son meilleur livre (j’dis ça, mais en même temps, je n’en ai lu que 5. Mouhahah.).
    Du coup, les autres m’ont moins passionné, mais j’ai quand même adoré :
    Une rose au paradis
    La nuit des temps.

    Par contre, j’ai moyennement accroché à
    -Les dames a la licorne (je crois même ne pas l’avoir terminé)
    – l’enchanteur.

    j’ai dans ma bibliothèque, mais pas encore lu : Tarandol et Le grand secret, La peau de Cesar, Les chemins de Katmandou.

    Tu m’a donné envie de me remettre à lire Barjavel.
    Quant j’aurai terminé « Le mois le plus cruel » (Louise Penny), je prend un des 4 …

    1. Oh làlàlàlà Alors ça dépend de ce que tu aimes. Si tu kiffes les légendes, alors « l’Enchanteur » est grandiose. Si tu es plus science-fiction, alors tu seras ravie par « Le voyageur imprudent ». Et si ce sont plus les voyages initiatiques, alors « Les chemins de Katmandou »

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