De l’œuf ou de la poule, qui est arrivé en premier ?
De ma solitude ou de la stigmatisation dont j’ai été victime, on pourrait se
poser la même question.
Mme Lammon était une grosse maîtresse blonde que tous les élèves redoutaient, et comme de bien entendu, j’étais tombée dans sa classe pour mon année de CM1. Comme pour beaucoup de professeurs, elle avait la réputation de mener sa classe avec une sévérité absolue mais au final en en faisant partie nous pouvions nous apercevoir qu’elle était certes rigoureuse mais aussi particulièrement juste, voire même capable d’affection.
Ce lundi-là, nous devions avoir fait signer nos cahiers de correspondance.
– Mais… Agoage… Je ne vois qu’une signature sur ton carnet ! Ça ne va pas du tout ça ! Tu as eu un bon moment pour le montrer à tes parents, qu’est-ce qui s’est passé ?
– Il y a la signature de maman et…
– D’accord mais c’est écrit signature DES parents, elle est où celle de ton papa ?
– Bah… j’ai pas de papa
– Oh ma pauvre !
Cette dernière phrase, tout à fait spontanée dans la bouche de ma maîtresse avait raisonné dans toutes celles de mes camarades de classe comme un mantra d’espièglerie et de voyeurisme. Et ça a été le tribunal populaire à la récré suivante.
Mais peu m’importait, je nageais dans le bonheur, je n’ai jamais souffert de cette situation, la différence c’était eux, les autres, qui la créaient !!! Maman était là, Mamie était là, Pépé était là… j’en avais trois pour le prix de deux, n’était-ce pas formidable ???
Et puis le fantôme du père flottait : je le connaissais, il venait parfois. Il dormait à la maison de temps en temps… Mais pour moi ce n’était pas mon père, je ne savais pas ce que c’était, moi, un « papa »… Il n’a jamais été assidu pour aider ma mère financièrement, il ne le pouvait pas. Alors quelquefois il signait quelques bulletins (pour faire plaisir à la maîtresse).
J’ai toutefois vite été consciente de l’étiquette de « pas ordinaire » qui m’a été collée sur le front par les enseignantes et les autres enfants. Si on ajoute à ça mon indifférence envers mes camarades (j’avais l’habitude d’être entourée d’adultes à la maison, les autres enfants m’intéressaient finalement peu) et ma grande capacité à la contemplation, il ne sera facile à déduire que j’étais souvent seule et rarement intégrée.
Un jour, ma mère qui venait me chercher en maternelle, m’a trouvé en pleine séance de secouage par l’une de mes copines de classe. C’est la copine qui me secouait (et d’ailleurs ce n’était pas ma copine, elle a toujours été méchante avec moi, la preuve elle m’a piqué mon amoureux en glissant dans ses bras un jour de pluie. Je suis persuadée encore aujourd’hui qu’elle avait fait exprès de se tordre la cheville dans ses sandalettes vernies, la garce !) et moi je la laissais faire, impassible sans trop comprendre ce qui se passait.
– Mais qu’est-ce que tu fais Géraldine ? Pourquoi tu la secoues comme ça ? Lâche-là voyons ! Était intervenu ma mère en agrippant fermement le bras de la peste qui me malmenait. Et elle, nullement effrayée par le statut d’adulte de ma maman de lui répliquer tranquillement, tout en se fourrant un doigt dans le nez :
– Bah, elle bouge pas, elle est molle, j’aime pas ça, je veux qu’elle bouge plus moi !
Pour sa défense, elle avait raison, je ne bougeais pas… Je ne voyais pas l’intérêt de trop bouger, et d’ailleurs, même aujourd’hui je ne le vois toujours pas ! Je vais d’un point A à un point B sans souci, motorisée de préférence, à pieds s’il le faut et si c’est pas trop dur mais tout ce qui est excitation inutile, stimulation cardiaque et sécrétion de sueur pour une autre raison que celle de réguler mon corps à la température extérieure, il ne faut pas compter sur moi !
Donc effectivement, j’errais la plupart du temps tranquillement dans l’espace bétonné qui nous servait de cour, j’étais à l’affut du moindre insecte (tout en restant discrète, parce que si les autres voyaient que j’avais repéré une araignée, ils allaient me bousculer pour pouvoir méthodiquement lui arracher les pattes et j’aurais mis des jours à m’en remettre), du moindre brin d’herbe, de la moindre trace de ce que je pouvais rester à observer des heures : la Nature !
Parce que chez moi, j’en avais de la nature… Mon jardin potager était le plus grand du monde (au moins) et lorsque mon grand-père me disait de venir avec lui pour écouter pousser les petits pois, j’y allais de bon cœur et me concentrait tellement pour les entendre que je n’avais plus aucune perception de tout le reste autour de moi.
Les meilleurs moments de mon enfance sont associés à ce jardin, il nous nourrissait et me fascinait. Je ne retournais pas à l’école maternelle l’après-midi, je restais avec mes grands-parents et j’évoluais dans cet univers incroyable à observer la vie d’un jardin potager de banlieue.
On avait une cuisine et une balancelle, un portique et même une petite forêt qui sentait la noisette. Je revois encore mamie penchée au-dessus de l’évier ou bien accroupie dans la terre pour ramasser les haricots verts avec son canotier.
Je sociabilisais avec les fourmis, je discutais avec les bourdons, je jouais avec mon chat blanc et je m’inventais des amis/animaux imaginaires. Je ne côtoyais les autres êtres humains que lors des grandes fêtes que ma mère ou ma grand-mère organisaient au moindre embryon d’occasion, elles y invitaient plein de monde. Nous pouvions y manger, s’y déguiser, y danser. Parfois il y avait des batailles d’eau, parfois les adultes buvaient trop et se disputaient, ou s’aimaient trop et se disputaient aussi. Chez moi j’étais la seule enfant, admirée, écoutée, chérie. Unique !
Je perdais tout ça une fois le portail de l’école passé.
Aujourd’hui, je réfléchis vraiment beaucoup à la place qui est la mienne. Je vis au milieu des immeubles, des péniches et du couloir aérien. La nature est personnifiée par les pigeons estropiés ou les chats errants que je ne peux pas tous sauver…
Sans doute dois-je changer quelque chose rapidement !
Et vous, avez-vous trouvé votre place ?
Pour ma part, à bientôt 36 ans, je crois que j’ai trouvé ma place. Tranquille, chez moi, avec mes chats. :)
Je dirais pas que je suis asocial, mais assurément « allergique » aux gens la plupart du temps.
Quant au sujet de l’école, et du fait d’avoir un papa et une maman, j’espère (je traîne pas trop devant les cours d’école, désolé de l’incertitude) que la situation s’est un peu améliorée. Qu’on est pas stigmatisé, au moins par les adultes, parce qu’on a pas de papa, ou pas de maman, ou au contraire 2 papas ou 2 mamans. Enfin je revois encore la vidéo avec l’abruti faire l’oisillon et ça crie « maman » quand il penche du côté gauche, et « papa » quand il penche du coté droit, et je me dis qu’il y a encore du chemin à faire…
Je ne connais pas la vidéo dont tu parles mais je l’imagine bien.
En effet aujourd’hui dans les écoles les normes ont changé, mais les sujets de stigmatisation aussi du coup. Le combat pour la tolérance est un boulot quotidien !
Ma place… J ai eu du mal à la trouver. J ai été élevée en pleine campagne par mes grands parents. Petit hameau de 10 personnes l hiver en comptant large et à peine 20 l été et j étais la seule enfant, été comme hiver. L école…. Je ne me suis jamais fais trop d ami(e)s. J étais trop différentes pour eux, la fille de la campagne même pour ceux qui y vivent c’est pour dire !
Au lycée j ai enfin commencé à me sociabiliser. Je me suis faite une amie ! Qui est encore là aujourd’hui !!
Ma place je l’ai réellement trouvé l’orque j’ai rencontré mon mari et ses parents. Tous ses potes lui disaient : elle est froide ta copine ! Non elle t observe afin de voir si elle peut te faire confiance leur répondait il.
Aujourd’hui en apparence je suis sociable mais j observe toujours
Parfois ce n’est pas évident du tout, ton parcours en est une bonne illustration.
Toujours pas… J’ai aussi connu la solitude, l’exclusion et si j’apprends progressivement à m’ouvrir plus à l’autre, il m’en est resté des traces.
Pour autant, avoir son monde à soi est aussi une vraie richesse et le tien, tes souvenirs sont d’une vraie poésie :)
Même si je savais dès le début que tu parlais de toi, j’ai eu l’impression que tu parlais de mon enfance. Elevée au sein d’une communauté d’adultes, sans mon père que j’ai rencontré sur le tard, bien plus à l’aise parmi les adultes qu’avec les enfants.
Jamais intégrée par mes pairs, toujours dans mon coin à me raconter de super histoires, ou au mieux, tolérée par les garçons parce je savais taper dans un ballon de foot…
J’ai mis du temps à comprendre que mes premières amies au collège se servaient de moi.
Mes vrais premiers amis, je les ai rencontrés au lycée. Ce sont eux qui m’ont fait comprendre que je n’avais pas besoin de monopoliser l’attention pour exister.
A la suite d’un long parcours où je me suis découverte petit à petit, j’ai finalement trouvé ma place, non pas dans un labo à travailler en solitaire, mais derrière le comptoir d’une pharmacie où je prends plaisir chaque jour à prendre soin de mes patients…