Une histoire à couver dehors.


Ma vie de gaga d'animaux / mardi, novembre 10th, 2015

mortJe me présente, je suis Melchior, descendant direct de la pure lignée des Biset, branche bien connue de notre race : les pigeons

J’ai éclos un beau lundi de printemps au dernier étage d’un immeuble de la rue Saint-Michel après 17 jours de couvaison effectuée à tour de rôle par papa et maman, je suis donc le petit dernier sur cette couvée de deux : ma sœur a été pondue juste deux jours avant moi, mais en début d’après-midi, comme moi !
Il a quand même fallu me garder encore un peu au chaud et en sécurité étant donné que je ne possédais encore que mon premier duvet en mini plume jaune (enfin c’est ce qu’on m’a raconté, j’étais encore aveugle à cette époque là !) Maman s’occupait de nous le matin et le soir et papa l’après midi.
Ma première nourriture, c’était le « pape », un lait épais que maman et papa pouvaient produire grâce à leur jabot, c’est ainsi que j’ai si bien grandi : j’ai triplé mon poids et ma taille en un jour et demi !

Vendredi, j’ai ouvert les yeux ! Et j’ai vu tout ce qui m’était donné de voir : tout ce qui bouge, je le repère instantanément… J’ai plus de mal avec les objets inanimés : je ne discerne que leurs contours, ça me permet de les éviter, mais il faut que je fasse vraiment des efforts pour savoir ce dont il s’agit…

Dimanche, papa et maman ont commencé à nous donner un peu de nourriture solide : ils nous apportaient des miettes ou des graines en plus du lait. A partir de ce moment là, je devenais vraiment vorace (plus que ma sœur encore) et je ne cessais de caracouler et de jabotter dès que j’apercevais une plume de maman ou de papa voleter à l’horizon…

Une semaine après, je faisais dix fois mon poids de naissance, je commençais à avoir un peu plus chaud : mes vraies plumes ont commencé à pousser, mais je n’ai plus droit au lait : maman et papa me laissent trouver de l’eau maintenant, sans sortir du nid, ce n’est pas une mince affaire !!!

Moi, Melchior, j’ai battu des ailes lorsque j’ai eu mes 24 jours :) Avant ma sœur (qui n’a commencé qu’à 29 jours), mais je restais encore au nid, c’est seulement à mon 30ème jour que je suis parti : ma mère était bien contente, elle commençait une nouvelle couvaison et avait alors besoin de ma place.

Ma sœur est partie peu de temps après moi, mais elle s’est malheureusement fait écraser par une automobile dès son deuxième jour de liberté. Elle n’a pas été assez rapide, ou alors elle avait confiance, je ne sais pas : moi je savais que la plupart des hommes accélèrent quand ils nous voient au lieu de freiner !!!

Un autre drame frappa la famille, c’est le jour où mon papa se retrouva, on ne sait comment, les pattes définitivement collées à la tôle surplombant un bâtiment. Les hommes avaient certainement installé une substance faite pour nous exterminer

Cela se fait de plus en plus, et de manière de moins en moins « humaine » si je puis dire : substances collantes dans lesquelles le prisonnier s’empêtre pour finir par mourir d’épuisement ou de faim ou même poteaux téléphoniques ou électriques munis de pièges à leur sommet : on y tombe directement et on en ressort pas !

Les pigeons rescapés de Roissy m’ont aussi raconté qu’ils avaient retrouvés leurs pires ennemis là-bas : les faucons !!!! Ils sont revenus alors !! La légende raconte que nos ancêtres ont justement fui les campagnes pour s’en protéger et sont venus à la ville où tout semblait plus simple… Bon, la qualité de vie n’est pas du tout la même, la nourriture est parfois dangereuse et en période de canicule, c’est difficile de trouver où se rafraîchir, mais au moins, nous n’avions plus que l’homme et ses inventions à craindre…

Les plus faibles d’entre nous ne survivront pas, c’est sûr ! Normalement, nous autres pigeons Biset, nous devrions pouvoir vivre au maximum six ans, mais rares sont ceux qui, citadins, excèdent les 3 ans !
J’en ai connu des pigeons, moi, et franchement, j’ai côtoyé pas mal d’individus qui ne sont plus là maintenant, Philibert s’est étouffé avec un mégot de cigarette trouvé sur le trottoir, Berthe s’est pris un pare-brise de plein fouet, Agathe s’est trouvée piégée dans un grand magasin sans savoir comment sortir, et je vous en passe beaucoup d’autres…

Moi, j’ai réussi à comprendre un peu la logique des humains : si je ne leur demande rien et que je reste loin d’eux, normalement, je ne risque rien (sans parler de leurs petits, en fait les petits d’humains sont les plus cruels, il faut faire très attention à eux !)… Si je fais le beau, si je me lisse bien les plumes et que je fais le timide, y’en a même qui me donnent des miettes ! Si, si, j’vous jure : souvent ceux qui font ça, c’est les petits fripés, ou alors les femelles…
Aujourd’hui, j’ai 2 ans :) J’ai eu beaucoup de chance de rester en bon état pour ma race… Sous prétexte que nos excréments sont acides et abîment leurs statues et leurs bouts de ferraille, les humains ne perdent pas, en principe, une occasion de nous traquer…
Ils ne pensent pas à ce cormoran dans la grosse flaque d’huile noire qui aurait d’innombrables raisons de les traquer parce qu’ils détruisent son habitat naturel….

Enfin c’est la vie, personne ne choisit où il naît…

Ahhhh, si seulement je pouvais choisir ma réincarnation…
Je choisirais « humain », et je pourrais dire :
Quand je serais plus grand, je serais dictateur !


 

*Ceci un texte que j’ai écrit il y a fort longtemps (une petite décennie) mais sur lequel je suis retombée par hasard et qu’il m’a plu de partager avec vous.
Tout est vrai (enfin sauf le pigeon qui parle…)

6 réponses à « Une histoire à couver dehors. »

  1. Très bien écrit :) Et malheureusement tellement vrai !
    Tu as vraiment un don pour l’écriture (en plus du dessin, à ce que j’ai pu voir ici ou là sur ton blog…)
    Tu fais aussi de la musique, non ? :D

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